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dimanche 13 décembre 2009




LE PÈRE FERNAND LINDSAY 
La force tranquille d’un visionnaire 

La Scena Musicale, avril 2009


C’était le père du Festival de Lanaudière, l’esprit du lieu. Toujours présent aux concerts, calme et serein, il accueillait les gens avec ce sourire infiniment bon qu’on lui connaissait, heureux de constater la constance et la fidélité de son public. C’était aussi le père spirituel des jeunes musiciens de son Camp musical qui commençaient la journée en chantant sous sa direction. Malgré ses nombreuses occupations, Il était omniprésent aux activités musicales montréalaises, s’attardant souvent à discuter avec de nombreux mélomanes admirateurs, attentif à chacun, comme s’il avait tout son temps. On aurait voulu le croire immortel. Hélas ! Le père Lindsay nous a quittés, nous laissant tous pantois, consternés par la nouvelle. Comment allons-nous perpétuer son œuvre?

La priorité du pédagogue : développer le goût de la musique chez les jeunes

        Le jeune Fernand Lindsay commence  l’étude du  piano à 5 ans. Possédant la détermination du taureau, son signe du zodiaque, il réussit  à convaincre sa mère à 12 ans de l’envoyer au séminaire de Joliette, afin de plonger dans le milieu musical qui y règne. Passionné de musique, il y poursuit l’étude du piano et apprend en plus l’orgue, la clarinette et le basson. Il avoue toutefois aimer aussi passionnément la littérature, le tennis et le hockey.


        Soucieux de favoriser le développement de la musique chez les jeunes, il crée en 1962 un festival-concours dont les bourses permettront à de jeunes musiciens de la région de séjourner gratuitement au Centre d’arts d’Orford. Constatant par la suite que les jeunes n’y étaient acceptés qu’à partir de 17 ans, il convainc sa communauté religieuse d’utiliser le domaine des Clercs de Saint-Viateur, au Lac Priscault à Saint-Côme, pour en faire un camp musical dédié aux enfants de 9 à 16 ans. Ainsi prend naissance en 1967 le Camp musical de Lanaudière qui a fait la joie de milliers d’enfants et qui a vu éclore la carrière de nombreux musiciens québécois. 


        Cette oasis de verdure, située sur le bord de l’un des  beaux lacs de la région, accueille de jeunes enthousiastes qui savent qu’ils peuvent s’y amuser tout en faisant de la musique. Les campeurs commencent la journée en chantant dans la chorale que le père Lindsay dirige avec un plaisir évident, un rituel qu’il conservera jusqu’à la fin. Responsable de l’atmosphère détendue qui règne au camp musical, le père Lindsay occupe au début une modeste roulotte située en plein cœur de l’action. Chacun sait qu’il y trouvera une oreille attentive en tout temps. C’est cette qualité d’écoute exceptionnelle qui a frappé surtout Élaine Marcil, du Quatuor Claudel-Canimex. : « J’ai rarement vu quelqu’un écouter comme ça. Quand j’allais le voir pour lui raconter ce qui se passait dans ma vie, il me posait une question et je sentais qu’il m’écoutait avec un grand intérêt. Dans un monde où tout va trop vite, c’était comme une thérapie. »


Le rêve devenu réalité : le Festival international de Lanaudière

        C’est en 1963 que le Père Lindsay décide de poursuivre ses études de philosophie à l’Institut catholique de Paris et à la Sorbonne, apportant dans ses bagages Le clavier bien tempéré de Bach, son disque préféré dont il ne se sépare jamais. Durant ses vacances, il visite les grands festivals de musique. C’est une révélation, une découverte qui nourrira le reste de sa vie et sera à l’origine de son grand rêve: pourquoi  le  Québec n’aurait-il pas aussi un grand festival international de musique? L’idée fait tout doucement son chemin et mûrit jusqu’en 1977.


        Le Festival tant désiré connaît un début très modeste et se compose exclusivement de bénévoles parmi lesquels deux amis vont devenir rapidement de précieux collaborateurs: René Charrette, directeur de la Société nationale des Québécois de Lanaudière et Marcel Masse, alors vice-président chez Lavalin.  Les concerts se produisent dans l’amphithéâtre du CEGEP et dans les  Églises des villages environnants. En 1984, l'imprésario Paul Dupont-Hébert est nommé directeur général du Festival. « Son embauche a été le dernier tournant qui a fait que le Festival a vraiment pris son élan. » dira le père Lindsay.


        En 1985, pour « donner un grand coup » Il annonce les deux  vedettes de films qui viennent d’obtenir un immense succès à travers le monde : Julia Migenes-Johnson (de Carmen) et Wilhelmenia Fernandez (de Diva) « La chose paraissait extravagante, mais le public a suivi. » déclare le père Lindsay. C’est à ce moment que le Festival est devenu vraiment international.


        Mais le Festival avait besoin d’un écrin digne de ses artistes et de ses mélomanes. Convaincu que ce rêve est réalisable, le père Lindsay, avec sa patience, sa force de persuasion et son charme irrésistible, commence sa campagne de séduction. Épaulé par Paul Dupont-Hébert, il décroche des commanditaires prestigieux et obtient plusieurs subventions gouvernementales. « Moi, je ne suis qu’un vendeur de rêve. Le grand responsable de la couleur de ce rêve musical, c’est le Père. » avoue M. Dupont-Hébert. Les conditions gagnantes réunies permettront de concrétiser le grand rêve du père Lindsay: la construction de l’Amphithéâtre, dont l’inauguration aura lieu le 18 juillet 1989.


L’héritage du géant

        Le père Lindsay était une force de la nature, un monument, une comète qui a traversé le ciel musical trop rapidement. C’était un pédagogue extraordinaire, plein d’humour, allumant le feu de la passion chez les musiciens et mélomanes qu’il a côtoyés. Un homme d’une rare humilité qui trouvait toujours une excuse à son succès, comme s’il n’était pas mérité. Alors qu’il était nommé Personnalité de l’année 1987 dans le domaine musical, Claude Gingras écrivait à ce sujet dans La Presse : « Quand je lui ai appris qu’il était l’élu, le Père prit cet air équivoque qui le caractérise parfois : il a murmuré quelque chose qui tenait à la fois de l’acceptation et du refus. L’honneur lui revenait : l’infatigable animateur le savait aussi bien que nous. Mais l’humble religieux qu’il n’a jamais cessé d’être, parut embarrassé d’accepter seul cet honneur et mentionna immédiatement ceux qui le secondent… »


        C’était un grand visionnaire ayant un flair incomparable. Tout ce qu’il a touché s’est transformé en grands succès. Mais le prêtre Fernand Lindsay avait fait le vœu de pauvreté. Sa richesse aura été de donner et de partager, ce qu’il a fait depuis sa tendre enfance. La mère d’Alex Benjamin, le directeur adjoint au Festival, est allée en 2000 à New York avec le père Lindsay et un couple d’amis pour entendre Anton Kuerti  jouer les cinq concertos de Beethoven. Collaboratrice du père Lindsay depuis les débuts du Camp musical, Mme Benjamin se réjouissait de pouvoir écouter le concert dans l’intimité, sans être entourée de tout le monde qui vient habituellement  saluer le père Lindsay. Elle s’apprêtait à l’entracte à lui faire part de sa réflexion  lorsqu’il lui dit « C’est très beau Raymonde, mais c’est dommage qu’on n’ait pas amené un autobus pour que plus de monde puisse en profiter. » Écouter la musique c’était beau, mais la faire partager, c’était encore mieux !


        Le père Lindsay avait une grande confiance en la vie. L’annonce d’une catastrophe en vue ne réussissait pas à l’émouvoir. « C’était comme s’il avait une ligne directe avec en-haut » raconte Marcel Saint-Cyr, membre du Quatuor Eisenstadt qui se trouvait au Camp musical à la fin des années 1980. « Nous avions un concert avec clavecin prévu le lendemain. Il faisait une telle humidité que le clavecin est devenu inutilisable. J’annonce au père Lindsay qu’il faut annuler le concert. Mais lui me répond avec son calme imperturbable : « On verra. » Le lendemain, le vent s’était levé, l’humidité était tombée et le clavecin avait retrouvé sa forme. Je me suis dit que, Le Saint-Esprit, c’était peut-être lui ! »


        Avait-il un défaut ? Une fêlure quelque part ? « Il est souvent en retard » a-t-on avoué dans son entourage. Et tous reconnaissent qu’il avait comme péché mignon d’aimer la bonne table. La journaliste Simone Piuze l’a rencontré en 1987. Comme il était en retard, elle l’attendait dans sa chambre et en a fait une description qui dépeint très bien le personnage: « Dans l’humble chambre-bureau règne un joyeux désordre. Peu de meubles, mais des livres, des disques. L’Approche contemporaine d’une affirmation de Dieu et La Consolation de la philosophie côtoient Le Bouddhisme et Le Bottin gourmand, Chœurs d’opéras célèbres, le guide Michelin des châteaux de la Loire, deux petits sacs de bonbons, des cartons d’allumettes de restaurants parisiens et, près d’un fauteuil recouvert de vêtements et d’objets divers, une bouteille de vin enrubannée. Sur le bureau, un Time ouvert sur un article traitant de fécondation in vitro. Sur la machine à écrire, une lettre adressée au ministère des Affaires culturelles. Au fond de la chambre, un lit tout simple, mais face au bureau, sur une étagère, une sculpture représentant Orphée, lyre à la main. » (L’actualité, Simone Piuze, Le Père du Festival, juin 1987)


        Il aimait la musique et il aimait enseigner la musique. C’est ce qu’il souhaitait qu’on retienne de lui. À Simone Piuze, il expliquait sa vision de l’enseignement : « Un prêtre dans l’enseignement, c’est la transmission d’une partie de la vérité et de la beauté des choses. Essayer de transmettre une partie de cette beauté des choses, c’est se rapprocher de Dieu… Sachant toute la satisfaction que la musique me donnait, j’ai voulu amener les jeunes à la découvrir dans le ravissement. »


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